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La dystrophie endothéliale de Fuchs

Aussi appelée « cornea guttata », c’est une maladie génétique autosomique dominante qui se caractérise par la perte progressive et accélérée des cellules endothéliales, qui évoluent parfois vers l’apparition d’un œdème cornéen, lui-même responsable d’une baisse de la qualité et de la quantité visuelle
Elle a été décrite en 1910 par Ernest Fuchs1
Autrefois redoutée par tous les chirurgiens de la cataracte, elle est aujourd’hui diagnostiquée plus tôt, mieux comprise mais aussi mieux prise en charge grâce à l’essor des greffes endothéliales de cornée, dont la DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty) : allogreffe anatomo-anatomique donnant des résultats spectaculaires et durables avec très peu de risques ou d’effets secondaires a permis d’améliorer le pronostic visuel des patients

Prévalence et incidence :

La prévalence est estimée à 4% chez les plus de 50 ans dans les pays industrialisés2, ce qui en fait la dystrophie la plus fréquente. La population, notamment européenne, étant vieillissante (avec une meilleure espérance de vie) l’incidence va probablement augmenter dans les prochaines années
Les femmes sont 2 à 3 fois plus touchées chez les hommes, et les manifestations cliniques sont classiquement observées après 60 ans même si des formes précoces (dès 30 ans) existent

Dans le cadre d’un mémoire d’orthoptie que j’ai eu la chance d’encadrer, mes deux élèves Mme Alice et Mme Anna ont estimé l’incidence de la dystrophie de Fuchs au CHU de Lyon à sur une période de (population des urgences, sans antécédent de pathologie cornéenne). Travail non publié

Physiopathologie :

Elle n’est pas totalement élucidée mais les derniers travaux évoquent une apoptose (autodestruction) précoce des cellules endothéliales, associée à un épaissement de la membrane de Descemet (facilitant les manipulations chirurgicales) par augmentation du stress oxydatif local

Stadification de la dystrophie de Fuchs :

Il existe une classification clinique de la maladie : la classification de Krachmer3 (en 5 stades)
A titre personnel, je n’ai jamais utilisé cette classification peu reproductible en pratique quotidienne

Signes fonctionnels :

Les patients peuvent présenter : une légère photophobie contextuelle (pluie, conduite nocturne, forte luminosité), un dérouillage matinal de vision (vision floue au réveil et qui s’améliore progressivement : de quelques minutes à plusieurs heures) jusqu’à une baisse de vision permanente
Comme dans toutes les maladies de la cornée, la qualité visuelle peut aussi être impacté par l’apparition d’aberration optique de haut degré
En absence de traitement et à un stade très avancé, des douleurs peuvent survenir (kératopathie bulleuse)

Signes cliniques :

A l’examen à la lampe à fente, au stade débutant de la maladie, nous observons l’apparition de gouttes de localisation principalement centrale. La densité, leur localisation, leur taille peut ainsi être analysé afin d’essayer de « prédire » l’avenir. Des travaux sont menés mais à ce jour il est encore difficile de pouvoir connaître l’issu de chaque patient
A un stade plus avancé, l’endothélium cornéen observé à fort grossissement et en fente lumineuse, peut prendre un aspect en « argent battu ». L’œdème cornéen clinique est difficile à voir, mais il est initialement intra stromal et se voit en comparant le centre de la périphérie sur une coupe en fente fine : si le centre est au moins aussi large que la périphérie, cela signe l’œdème stromal (en effet le centre de la cornée est toujours le point le plus fin et la périphérie augmente jusqu’à +100 microns son épaisseur, ce qui assez facile à observer cliniquement)

Au stade de décompensation, l’œdème peut toucher toutes les couches et faire apparaître des plis descemetiques, puis l’apparition d’une fibrose sous épithéliale (réversible) jusqu’à stromal (non réversible)
Dans le dernier stade, la fibrose s’associé à une néovascularisation cornéenne profonde et diminue drastiquement le pronostic d’une allogreffe de cornée, même endothéliale.

Il existe donc une « fenêtre thérapeutique » où opérer les patients d’allogreffe de cornée endothéliale, et en cas de choix d’une surveillance simple le suivi est essentiel pour ne pas passer à côté du « bon moment ». A titre personnel, je vois les patients porteurs d’une dystrophie de Fuchs tous les 6 à 12 mois si surveillance, et tous les 12 à 18 mois une fois opérés

Examens paracliniques :

Plusieurs outils peuvent d’avérer utile au suivi et à la décision chirurgicale mais le diagnostic reste clinique !
La microscopie spéculaire permet de faire une photographie, plus ou moins réussi suivant les appareils et l’expérience de l’opérateur, de l’endothélium cornéen. L’examen sera d’autant plus difficile à réaliser que la maladie est à un stade avancé, mais il permet : de visualiser directement la taille et la forme des cellules endothéliales, la présence de goutte (figure Exemple d’une microscopie spéculaire avec son rapport chez un patient porteur d’une dystrophie de Fuchs à un stade débutant : notez la présence d’ombre noir arrondie correspondant aux gouttes – Nidek CEM530)

La topographie cornéenne permet d’estimer l’épaisseur de la cornée (ou pachymétrie) et de comparer cette mesure dans le temps. La carte pachymétrique en 25 points permet de comparer l’épaisseur centrale et périphérique, et de repérer les pertes d’isotype, fortement à risque de décompensation postopératoire4 (figure carte pachymétrie normale à gauche, carte pachymétrique d’un patient porteur d’une dystrophie de FUCHS où l’on note la perte de l’isotype et l’épaississement central et nasal supérieur)
La tomographie par cohérence optique (OCT) permet d’analyse les couches cornéennes et de repérer des zones de fibrose pouvant compromettre les résultats d’une future allogreffe de cornée endothéliale, elle permet également une estimation de la pachymétrie

Prise en charge :

Au stade précoce, aucun traitement n’est proposé. En effet à ce stade les patients sont très rarement symptomatiques, et les seuls symptômes décrits (légère photophobie) sont en général corrigés par des filtres particuliers ou une adaptation du mode de vie.
Lorsque la fluctuation visuelle commence à apparaitre, un traitement médical peut être essayé : les collyres hyperosmolaires. Il existe en France deux références, aucune n’est prise en charge par la sécurité sociale, et l’efficacité n’est pas systématique. Comme nous n’avons pas de moyen de connaître les bons répondeurs, il faut toujours l’essayer et ne pas le poursuivre en cas d’échec ou d’intolérance
Lorsque les symptômes sont handicapants, que le traitement médical est dépassé, et que le patient se sent prêt à être opéré, il faut alors proposer une allogreffe de cornée endothéliale.
Il existe plusieurs types de greffe endothéliale, et aucune étude à ce jour de forte puissance n’a permis d’affirmer la supériorité d’une technique. Cependant toutes les études confirment une tendance à des meilleurs résultats pour la DMEK : Descemet membrane endothelial keratoplasty5

Certaines équipes proposent une technique appelée DSAEK : le greffon est alors un peu plus épais, permettant de faciliter sa manipulation per opératoire
Je n’ai aucune expérience de cette technique, je ne détallerai donc pas cette dernière dans la rubrique chirurgie
Dans de rare cas (état cornéen initial, échec de kératoplastie endothéliale), une allogreffe transfixiante peut alors être réalisée

A titre personnel, j’ai commencé à apprendre puis à opérer des DMEK en 2018, et à ce jour je n’ai toujours utilisé que cette technique, même sur les cas dit « complexes ». Fort de mon expérience hospitalière (250 DMEK réalisés entre 2018 et 2021, chiffre issu du logiciel de cotation du CHU de Lyon), j’ai continué à proposer cette technique dans ma pratique libérale (40 procédures en 2022, chiffre issu du logiciel de cotation de la Clinique du Parc) grâce à une collaboration entre la banque de cornée de Lyon et la clinique du Parc. J’ai dans cette clinique tout le matériel nécessaire pour opérer une DMEK (microscope opératoire avec OCT intégré, matériel à usage unique pour la préparation du greffon et la chirurgie, service d’hospitalisation pour le maintien de la position post opératoire)

La chirurgie de DMEK est expliquée ici (lien vers l’article dédié secteur chirurgie)

Références :
1Fuchs E. Dystrophia epithelialis corneae. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 1910:478–508
2Lorenzetti DW, Uotila MH, Parikh N, Kaufman HE. Central cornea guttata. Incidence in the general population. Am J Ophthalmol. 1967;64:1155–1158
3Krachmer JH, Purcell JJ, Jr, Young CW, Bucher KD. Corneal endothelial dystrophy. A study of 64 families. Arch Ophthalmol. 1978;96:2036–2039
4Guindolet D, Gemahling A, Azar G, Disegni H, Samie M, Cochereau I, Gabison EE. Detecting Subclinical Corneal Edema Using Corneal Thickness Mapping in Patients Presenting Fuchs Endothelial Corneal Dystrophy. Am J Ophthalmol. 2023 Feb;246:58-65
5Bahar I, Kaiserman I, McAllum P, Slomovic A, Rootman D. Comparison of posterior lamellar keratoplasty techniques to penetrating keratoplasty. Ophthalmology. 2008 Sep;115(9):1525-33

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